Les grands oubliés

Nous sommes en 2012. Toute la planète est occupée par les médias.. Toute ? Non! Quelques régions d'irréductibles oubliés résistent encore et toujours à l'intérêt des grands médias...                                                                                                                                                                                                                                                                                            

  Oh my god, New York est touché ! C'était il y a un peu plus d'un mois mais on s'en rappelle tous, lorsque l'ouragan Sandy atteignait la Grosse Pomme, pour un bilan de 41 morts et entre 30 et 50 milliards de dollars de dommages matériels. L'Amérique, le genou à terre (enfin, dans l'eau du coup) devant les caméras du monde entier. On a vécu comme si on y était l'émotion des citoyens courageux s'entraidant dans ces temps terribles. D'ailleurs, étant donné l'omniprésence médiatique du sujet, c'était difficile de ne pas être au courant. C'est vrai quoi, ça et le 11 septembre, deux fois en à peine plus d'une décennie, ça en devient de l'acharnement contre le pays de la Liberté. Le marathon a même été annulé, rendez-vous compte ! Et quelles conséquences sur la vie quotidienne de ces millions de gens: forcés de faire la queue pour avoir de l'essence et recharger leurs téléphones (ornés pour un bon nombre d'une Big Apple ayant pris un bon coup de mâchoire, comme quoi une catastrophe peut amener des métaphores intéressantes) et privés de métro, nous avons pu comprendre ce qu'ils enduraient grâce au travail de courageux reporters qui ont bravé ces terribles conditions pour nous apporter ces informations.



A plusieurs milliers de kilomètres de là, on continue de se taper dessus avec entrain sous l’œil apathique de la communauté internationale, avec un bâton légèrement plus pointu côté israélien. Ca fait des décennies que ça dure, mais on a toujours régulièrement le droit à de beaux dossiers dans la presse. En ce moment, on est encore plus gâtés, un événement un tant soit peu significatif, la reconnaissance de la Palestine en tant qu'Etat Observateur à l'ONU permet une nouvelle avalanche de récapitulatifs sur cette impasse diplomatique. Et non loin de là, c'est la guerre. La Syrie, le peuple oppressé, la révolution et les immeubles écroulés, garantis haute définition en Une du JT grâce aux régiments de journalistes présents sur place. Bref, tout ça et bien d'autres on s'en souvient et on continue à le voir tous les jours à moins d'être éleveur de brebis éclairé à la bougie sur le plateau du Larzac, ce qui n'est pas votre cas si vous lisez cet article.

Cependant, alors que le monde s'émouvait du sort des New-yorkais privés de téléphone, peu se sont demandés quel trajet avait fait la terrible Sandy avant de débarquer à Central Park. En bonne touriste, elle a passé un bon moment dans les Caraïbes et Haïti, pour une bonne centaine de morts et des millions de gens sinistrés, soit légèrement plus que les 700 000 privés d'électricité des States. Mais bon, on avait déjà parlé d'Haïti à la télé l'an dernier avec le tremblement de terre, et donc voilà quoi, même si Sandy en a remis une bonne couche sur une île qui va finir par se croire malchanceuse, il y a quand même plus important n'est-ce pas ? Au même moment, le petit copain de Sandy, Nilam, faisait 44 morts, inondant des milliers d'hectares de champs et déplaçant des dizaines de milliers de personnes en Inde.
Et si je vous parle de guerre, aujourd'hui, à quoi pensez-vous ? La Syrie semble être la réponse la plus évidente, suivie par l'Irak et l'Afghanistan. Pour le premier, le bilan actuel tourne autour de 50 000 morts. L'Irak, environ 162 000 civils et 4804 soldats de la coalition internationale (majoritairement des américains). L'Afghanistan, entre 16 et 33 000 civils, 20 000 talibans et 3235 soldats de la coalition internationale. Ça, c'est pour les guerres dont vous étiez forcément au courant. De l'autre côté, on peut commencer par citer la Birmanie. Guerre civile depuis 1948, 700 000 morts, plus de 10 000 cette année, la pêche quoi. La Somalie dont on parle plus lors de blagues alimentaires (l'ONU demandant d'ailleurs 1 milliard de dollars pour limiter la famine à venir et n'en obtenant qu'à peine plus de la moitié) est bien moins connue pour sa guerre civile en cours depuis 1991: entre 300 et 400 000 morts. On pourrait continuer avec l'Ouganda, le Pakistan ou encore la guerre contre et entre les cartels de la drogue au Mexique, plus de 80 000 morts depuis 2006; mais vous avez compris où l'on veut en venir : certains conflits sont sur-médiatisés, tandis que des massacres se poursuivent dans l'indifférence la plus totale.



Des habitants du Sud de la Somalie étrangement considérés assez importants pour être photographiés dans un camp de Mogadiscio, le 16 juillet 2011. AP Photo/Farah Abdi Warsameh

Pourquoi ? Quelles sont donc les raisons qui font qu'on parlera de tel conflit et qu'on oubliera totalement un autre tout autant voire beaucoup plus meurtrier ? Déjà, l'excuse du «on ne savait pas» est inutilisable. Non seulement que nous vivons à l'époque d'internet, mais même avant des agences comme l'AFP étaient déjà présentes partout dans le monde, et les dépêches arrivent bel et bien dans toutes les rédactions. Il s'agit donc d'un choix, choix de montrer certaines choses et pas d'autres. La première des raisons expliquant ce choix est la règle du «mort-kilomètre» que l'on peut résumer de la façon suivante: si c'est ici on en parle, si c'est loin on s'en fout; ou sinon ça doit être des français, au moins des occidentaux (Exemple de la surcouverture du raz-de-marée de 2004 qui noyait nos touristes coincés dans les étages inférieurs de leur 5 étoiles en bord de plage, point bonus pour le lendemain de Noël). Une mort d'homme à Paris fera couler plus d'encre que le meurtre d'un millier au Ghana. Mais la Syrie me direz-vous, c'est pas la porte à côté, et à priori à part les journalistes malchanceux, les occidentaux sont épargnés. C'est à cause de la seconde raison ! Les enjeux stratégiques ! La Syrie étant un pays clef du Proche-Orient, dans un contexte de tensions exacerbées avec le monde arabo-musulman, la crainte grandissante du nucléaire Iranien et de confrontations idéologiques globales, la future direction de cette zone est un enjeu de premier plan, du moins pour les politiques et militaires dans une logique rappelant la Guerre Froide.

Emballez le tout d'un bon storytelling, évitez de gâcher le plat en y ajoutant une dose toujours en trop de théorie du complot et vous avez la recette de l'oubli de populations entières dans votre préparation de ce qu'est l'information internationale !


Pierre-Olivier



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